Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite – Camille Emmanuelle.

Coucou les paupiettes !

On se retrouve aujourd’hui pour une nouvelle chronique livresque. Je ne vais pas vous parler d’un roman, non non non, mais d’un essai que j’ai dévoré en quelques heures lundi dernier : Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite, écrit par Camille Emmanuelle et publié aux éditions Les Échappés en février 2017.

Camille Emmanuelle, qui a écrit sous pseudo une douzaine de romances érotiques, nous ouvre les portes de ce genre littéraire qui, à force de favoriser une sexualité normalisée, devient un obstacle à une réelle libération sexuelle de la femme. Avec la verve qui la caractérise, elle dénonce l’éternelle comédie qu’on veut, encore, faire jouer à l’homme et à la femme.

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Pour ceux qui me suivent sur une base régulière, vous savez que je ne suis pas une très grande fan de romances érotiques. Pourquoi ? A mes yeux, la romance érotique n’est pas un sous-genre littéraire, comme j’ai pu le lire à plusieurs reprises. Il existe de très bons romans érotiques qui ne me posent absolument aucun problème. L’auteure en cite d’ailleurs quelques uns dans son essai. Ce qui me gêne, c’est la profusion de romances publiées chaque mois et qui se ressemblent en de nombreux points. J’accuse le manque d’originalité des écrivains, bridés, qui ne dévoilent pas leur plein potentiel. Je regrette également le manque de contexte, des personnages et une histoire peu étoffés, au profit de longues scènes de sexes souvent plus hilarantes qu’excitantes. Ces romances érotiques ne me font pas rêver. Pas du tout. Je n’ai pas peur de me revendiquer féministe. Et, mes amis, ces romances font très très mal à mon féminisme. La femme y est très rarement dépeinte comme une femme forte, indépendante, ambitieuse et qui assume sa sexualité. Nope. Elle est là, toute timide, à attendre qu’un homme riche vienne la cueillir comme une jolie petite fleur, la couvre de cadeaux et en fasse une potiche. Mais vu qu’il baise comme un dieu et qu’il a des abdos de fou, c’est pas grave. C’est l’homme idéal. Le book boyfriend de nos rêves. La femme des romances érotiques actuelles (j’ai pas envie de dire modernes parce qu’elles ne le sont absolument pas) nous amène une cinquantaine d’années en arrière, voire même un peu plus, à l’époque où la femme était limite un objet décoratif au bras de l’Homme, celui qui sustente, celui qui trime et que tu dois attendre sagement à la maison, maquillée, avec le sourire et le rôti dans le four…

L’essai de Camille Emmanuelle nous explique les coulisses de ces romances érotiques, de la commande à la publication. Elle nous donne son point de vue, qui rejoint globalement le mien, sur la vision du couple et de la sexualité dans ces ouvrages. Elle pose un regard critique sur sa propre production.

Dès les premières pages, elle nous explique que les lectrices ciblées par ces romans (nous sommes des « target ») ont un profil type. Elles ont entre 18 et 30 ans, elles sont urbaines, d’avides lectrices de romances érotiques et de magazines féminins, elles adorent voir des comédies romantiques au cinéma et sortir avec leurs copines. Ah oui, et elles adorent avoir des « papillons dans le ventre » quand elles rencontrent un homme. Afin de mieux cerner le sujet, elle nous explique également le phénomène « mommy porn », que l’on doit au succès de 50 shades of Grey (que j’ai feuilleté, ça m’a fait beaucoup rire, jamais lu en entier) ou encore de la saga After. Pourquoi « mommy porn » ? Parce qu’à la base, c’est la maman au foyer américaine qui était visée. Le lectorat a ensuite évolué, les maisons d’édition se sont emparées du phénomène et, aujourd’hui, de nombreuses maisons proposent des collections consacrées à la romance érotique. Des milliers de titres sont aujourd’hui disponibles, il y a même un festival qui lui est consacré (Festival New Romance). On déclare à tout-va que ces « sex-sellers » sont des manuels d’éducation sexuelle à destination des jeunes femmes (en remplacement du porno trash que nos hommes aiment tant LOL) et une manière comme une autre de s’émanciper.

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Aaaaaaargh. Je m’étrangle. 

Le problème est là. Ces romances érotiques sont aujourd’hui une tendance lourde de la culture populaire. On peut lire ces romances en toute connaissance de cause, en sachant dans quoi on s’engage, que ce n’est pas censé être un modèle d’inspiration. Mais tout le monde n’y voit pas un simple moyen de se détendre..

Les romances érotiques sont dangereuses car elles reproduisent des schémas sexuels et amoureux des années 1950. Selon Camille Emmanuelle, elles sont également nocives « à cause de leur style, pauvre et formaté » et dans « les messages qu’elles véhiculent sur le couple, sur l’amour et le sexe ». Ces romans sont des machines à fabriquer des fantasmes qui ne prennent place que dans le cadre d’une relation homme-femme traditionnelle.

J’ai arrêté d’écrire de la littérature cucul (c’est comme ça que je nomme les romances). J’aimerais que tu arrêtes, Manon, d’en lire. Pour cela, je vais te raconter les coulisses de cette écriture. Un récit que ne te fera pas jouir, mais qui, je l’espère, te fera rire.

Et c’est ainsi que Camille Emmanuelle débute son récit. Elle nous décrit comment dans chacun de ses romans elle a dû changer les prénoms, pas assez américains, elle a dû leur inventer des blessures secrètes hyper codifiées, des frères jumeaux disparus.. Elle nous parle de l’obsession des maisons d’édition pour le réalisme, des photos d’acteurs et de maisons qu’elle a reçu pour l’aider à décrire précisément ses personnages et leurs lieux de villégiature. Elle développe, une à une, toutes les contraintes imposées par son éditrice. L’auteure y voit une manière de dénigrer la lectrice. On nie sa capacité à imaginer, il faut lui mâcher le boulot. En gros, la maison d’édition voit son lectorat comme une bande de femmes un peu con-con.

Des phrases courtes, beaucoup de dialogues, peu de descriptions, et le maximum de « pensées intérieures » (dixit l’éditrice), voilà la base stylistique des romances. La narratrice décrit tout ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent mais elle a aussi toutes ces « pensées ». Elle s’interpelle.

Elle évoque les personnages tous plus clichés les uns que les autres. Le héros, bellâtre milliardaire. L’héroïne, une jeune femme de 20 ans très belle mais qui ne le sait pas vraiment, blanche, mince, pas « superficielle », elle rêve secrètement de se marier et d’avoir des enfants, elle n’exerce pas de métier « d’homme », elle découvre le plaisir grâce au héros.. La meilleure amie, un peu folle et carrément à l’aise avec sa sexualité puisqu’elle a déjà eu de multiples partenaires. Le colocataire gay..

Je suis cruelle ? Peut-être, mais ces romans le sont aussi, pour tous les hommes qui ne sont pas pétés de tunes mais qui sont séduisants, intelligents, drôles et respectueux. Messieurs, vous ne faites pas rêver les femmes, désolée.

La romance érotique vend un mode de vie glamour à ces lectrices. Tout est élégance, charme, luxe. Tout est mis en œuvre pour qu’on puisse s’identifier à l’héroïne, mais celle-ci a quand même un quotidien 1.000 fois plus sexy que le tien. Même le sexe se doit d’être glamour. L’auteure doit privilégier certains types de décors, les draps du lit doivent être en soie ou en satin, il faut du champagne et de la lingerie chic. Il est rare que ces romans explorent vraiment la sexualité. On reste dans un schéma hyper classique « préliminaires + pénétration + jouissance + ayé c’est fini ! », comme le souligne Camille Emmanuelle. Là aussi, l’éditrice a son mot à dire et dresse une liste des Do et des Don’t à l’auteure, notamment en matière de jeux sexuels… Comment voulez-vous lire un roman original si les écrivains sont autant bridés ? Autant que l’éditeur écrive l’histoire lui-même à ce stade là…

Bref. Je ne vais pas vous détailler tout ce qui se dit dans cet excellent essai. A vous de le découvrir par vous-même ! Il vaut le détour. Il se lit très rapidement, l’écriture est simple et accessible à tous, certains passages sont très drôles. On a vraiment l’impression que l’auteure s’adresse directement à nous et on se sent d’autant plus impliqué dans toute cette histoire. On se sent investi d’une mission, celle d’expliquer aux gens que non, ces romances érotiques ne sont pas le reflet d’une nouvelle révolution sexuelle mais qu’elles délivrent en réalité des messages néfastes sur le couple, le corps ou encore la sexualité..

A mettre entre toutes les mains !

19/20

Alors, tentés ?

La bisette !

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Publié par

Ibidouu

Petite chose à la recherche d'un avenir.

39 réflexions au sujet de “Lettre à celle qui lit mes romances érotiques, et qui devrait arrêter tout de suite – Camille Emmanuelle.”

  1. Je dois dire que je suis très tentée de lire cet essai ! Je lis régulièrement des romances, cela me permet de passer un bon moment sans aucune prise de tête, cependant je suis tout a fait d’accord sur le fait qu’à force, on a très rapidement l’impression de lire des livres qui se ressemblent un peu tous. On retrouve les même schémas types. J’essaie de trouver des romances qui sont originales, où les personnages ne sont pas tous beaux, tous gentils et tous riches mais ça devient de plus en plus compliqué… Par contre, je n’ai absolument pas apprécié « After » et « 50 nuances de Grey », ce ne sont pas des romances comme je les entends, c’est du sexe et basta. Très peu pour moi ^^
    Bref, tout cela pour dire que je note cet essai et que je vais le lire dès que je le peux 🙂

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    1. Je lis régulièrement des romances aussi, plus de la chick-lit que de la romance érotique, et je l’assume complètement. C’est un genre que j’apprécie pour ce côté pas prise de tête. Forcément, je regrette que ce soit souvent peu original mais des fois on tombe sur des petites perles ! 🙂
      J’espère que l’essai te plaira 😉

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  2. C’est merveilleux, en commençant à te lire, j’étais déjà prêt à te répondre sur l’air de « C’est pas bien méchant, c’est juste l’exploitation d’un fantasme », mais en arrivant à la fin, j’étais convaincu que ce genre de littérature est produite avec cynisme et n’a que peu de vertus à opposer à l’image déplorable des relations femmes-hommes qu’elle véhicule.
    A ton avis, une romance érotique crédible, équilibrée et contemporaine est-elle possible?

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    1. Si encore ce n’était que ça ! Mais ça va malheureusement beaucoup plus loin. Avant de débuter ma lecture je ne m’attendais pas à ce que l’envers du décor soit aussi honteux.
      J’aimerai vraiment croire qu’une romance érotique crédible et équilibrée soit possible. Je pense d’ailleurs qu’elle existe déjà. Mais à mon avis elle est noyée dans la masse, pas assez mise en avant. J’espère vraiment qu’un jour il y aura plus de gens qui réagiront et que les ME changeront leur mode de fonctionnement pour opter pour des romances plus réalistes.

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    1. Merci très chère 🙂
      Au-delà de la parution de tous ces ouvrages, je crois que je suis surtout agacée par le fait que les gens continuent à les acheter alors qu’ils lisent souvent la même chose sans s’en rendre compte visiblement et qu’ils ne réalisent pas que ce qu’ils lisent est dangereux 😦

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      1. C’est malheureusement plus facile à dire qu’à faire. Et puis il faut que les gens soient prêts à écouter/comprendre où réside le problème. Mais je me dis qu’à force d’en parler, de plus en plus de personnes finiront par se rendre compte à quel point c’est néfaste !

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  3. J’ai également du mal avec les romances érotiques (pourtant j’ai essayé j’ai quand même lu en entier 2 tomes de 50 shades et 3 d’acter avant d’abandonner) justement à cause de ce manque d’originalité et de ces personnages de femmes que j’avais envie de secouer. Du coup, je suis très intéressée par cet essai! Je le note précieusement 🙂

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  4. je n’avais pas entendu parler de cet essai mais j’ai très envie de le découvrir maintenant ! Comme beaucoup, je me disais (peut-être naïvement) que même si ce n’était pas de la grande littérature, ce n’était pas bien méchant et qu’au moins cela divertissait ! Mais effectivement, de nombreuses jeunes filles n’ont peut-être pas le recul nécessaire face à ces romans.

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  5. Chronique super bien écrite et argumentée qui donne envie de creuser encore plus le sujet. Les romances érotiques, le porno, la publicité, énormément d’objets « culturels » mettent à mal le féminisme et la vision de la femme, la sexualité, les rapports humains. Aujourd’hui c’est une des principales causes qui empêche une réelle égalité car ça participe à véhiculer une éducation et des stéréotypes hyper genrés.

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    1. Merci 🙂
      Pour avoir travaillé sur l’image de la femme dans la photographie de mode, je suis totalement d’accord avec toi ! Le problème réside surtout dans le fait que les femmes sont les principales consommatrices de ces objets culturels et ne se rendent pas compte de leurs effets néfastes pour l’égalité.. Tout un combat !

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  6. Ta chronique est géniale ! Je déteste 50 nuances de Grey car finalement Grey n’est qu’un pervers louche mais vu qu’il est riche (et beau) cela devient le fantasme de tout le monde ! je pense être féministe, et pourtant, je me reconnais dans ta description du profil type de ce genre de lectrice, et j’avoue, j’en lis pas mal, mais avec des héroïnes fortes ! je déteste quand dans ce genre de roman il y a des jeunes femmes toutes fragiles qui se laissent dominer par les hommes ! rrrr ! mais après, ce genre de romans détend le soir 🙂 en tout cas, ta chronique me donne très envie de découvrir ce roman !

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    1. Merci 🙂
      Tu sais, je suis féministe et ça ne m’empêche pas non plus d’adorer sortir avec mes copines et regarder des comédies romantiques à la télé 😉 Les magazines féminins je ne peux plus, mais une bonne romance de temps en temps n’a jamais tué personne. Et effectivement, ça détend énormément 🙂
      N’hésite pas à lire l’essai, il est vraiment top !

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  7. Rah enfin quelqu’un qui n’a pas lu 50 Shades et qui ne comprend pas l’engouement… Merci copine, je me sens moins seule ! lol Et je suis d’accord avec toi tout cela est limite dangereux. Moi les scènes de sexe dans les romans je les aime lorsqu’il y a toute une histoire construite autour et qu’il se trouve qu’après avoir bien fait monter la tension, les personnages passent à l’action ! Pas juste du sexe rébarbatif pour du sexe !
    Et puis ce qui m’agace le plus c’est que comme ça fait vendre on en fait à toutes les sauces. Certes il y a tous les romans bien codifiés donc l’auteure parle, où rien qu’à la couverture et au titre on sait qu’il s’agit d’une énième resucée du genre. Mais il y a surtout tous les autres. Ceux qui sont bien camouflés. Tu lis la 4ème de couverture et tu te dis que ça a l’air d’être une romance sympa. Tu gardes le livre dans ta pàl jusqu’au jour où ta mère te l’emprunte. Puis te le rend en te disant « c’est sympa mais ça nique à toutes les pages »… o_O Tu l’auras compris c’est du vécu… j’ai prêté du mommy porn à ma mère !! XD
    Bref cet essai pourrait me plaire même si finalement ce ne sera que pour acquiescer à tout ! lol

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    1. On partage le même avis 🙂
      Hahaha, au moins ta mère n’a pas eu l’air trop traumatisée, c’est le principal XD Mais c’est vrai que ces romances érotiques « cachées » sont les pires et probablement les plus dangereuses !

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